Date: 7 mai, 2021 - Blog
« Sleepy Joe » fait manifestement des insomnies ! Il ne mâche pas ses mots avec la Russie, tance la Chine dans des domaines où sa susceptibilité est élevée, snobe MBS tout en reprenant le dialogue avec l’Iran, réactive le Quad et réintègre la plupart des organisations multinationales désertées par Trump. Il est de plus en plus souvent comparé à Roosevelt, en raison des ambitieux et gigantesques plans de relance conjoncturelle, d’infrastructure et « Green ». Il gouverne par décrets et contourne le blocage des Républicains en ayant recours au processus dit de « réconciliation ». En moins de 100 jours. Tout cela crée pas mal de remue-ménage médiatique, mais contribue surtout à restaurer l’image d’un pays dynamique, volontaire et en net regain de crédibilité.
Biden est intimement convaincu que les États-Unis ont besoin d’un électrochoc, d’un grand plan à la Roosevelt. Son analyse est limpide : malgré une croissance tout à fait respectable du PIB au cours des dernières décennies, la société américaine a clairement régressé. Les inégalités de richesse et de revenus n’ont cessé de se creuser. L’appauvrissement des classes sociales défavorisées et des travailleurs peu qualifiés s’est accéléré. L’espérance de vie des Américains a diminué, ce qui contraste fortement avec les autres pays développés. En renard rusé de la politique américaine (l’anti-thèse de son prédécesseur), il se garde bien de l’annoncer comme tel, afin d’éviter les blocages et levées de bouclier. Il préfère agir et mettre le public et les parlementaires devant le fait accompli. Les élections de mid-term auront lieu très vite en 2022 et il n’est pas sûr de garder sa majorité.
On a pu croire un moment que, d’un point de vue de la politique économique, on s’engageait dans une sorte retour vers… le centre, avec une forte dose de « deficit-spending » en début de mandat. À y regarder de plus près, le virage semble de facto plus profond et radical. Pour tenter de réunifier une Amérique profondément divisée, Biden s’engage dans un fondamental processus de redistribution des richesses et de comblement des inégalités. L’État fait son grand retour, durable. Dans l’immédiat, les transferts de pouvoir d’achat (et autres chèques) ont été massifs, au risque d’arroser un peu trop et trop loin. La hausse du salaire minimum, trop controversée pour être adoptée rapidement, reviendra bientôt devant les députés. Les États profitent aussi des largesses de Washington, afin de faire ruisseler les aides publiques en profondeur. Un plan de $2tn est en gestation, ciblé sur les familles et les enfants, sur dix ans. En filigrane, on perçoit l’inflexion de Biden vers l’instauration d’un revenu universel, un peu à l’image de ce qui se fait en Europe.
Biden profite au maximum des conditions particulières post-pandémie. Une Fed complaisante et des taux ultra- bas permettent l’augmentation ad nauseam de la dette publique, sans créer d’indigestion des marchés, dans l’immédiat. Mais rapidement, il devra viser large pour financer ses méga-projet, en ciblant avant tout les pôles de richesse (les revenus de UHNW, les plus-values financières) et les sociétés (dont les GAFAs). Le risque, à terme, c’est un changement de fiscalité des dividendes, des buy-backs, etc. Son projet d’harmonisation internationale de l’impôt sur les sociétés est utopique. Qu’importe, il permettra en définitive de taxer à la marge les multinationales américaines bénéficiant de taux plus avantageux. Au bout du compte macro-économique, la productivité en souffrira, car l’Etat est moins bon allocateur de capital que le secteur privé. Pour les mêmes raisons l’inflation montera (un peu). La rentabilité des entreprises, donc la croissance des bénéfices, diminuera (un peu).
Tax Foundation est une organisation privée établie depuis plus de 80 ans, qui publie un indice qui fait référence : l’international tax competitiveness index. D’après ses tous derniers calculs, qui tiennent compte de nombreux aspects fiscaux au sens large, quantitatifs et qualitatifs, la situation est limpide. La réforme fiscale de Trump avait permis aux Etats-Unis de progresser de la 30e place (derrière la Grèce) à la 21e place du classement mondial (devant le UK). Les réformes annoncées de Biden pourraient provoquer la rechute du pays à la 32e place, entre l’Islande et le Mexique.
En résumé, l’Etat fait son grand retour aux Etats-Unis et la fiscalité risque d’opérer un sérieux virage à gauche. Au-delà du bien-fondé politique de cette inflexion, les impacts potentiels sont le risque pour les Etats-Unis de perdre une partie de leur attractivité. Les actifs financiers américains et le dollar n’en pâtissent manifestement pas pour le moment. Jusqu’à quand ? On peut notamment se demander si la prime dont ont bénéficié les actions américaines ne risque pas de se dégonfler…