Bouleversement des plaques tectoniques géopolitiques

Date: 13 octobre, 2022 - Blog

Les tensions sino-américaines étaient très fortes avec Donald Trump, mais le Covid, puis l’invasion russe en Ukraine, ont définitivement et durablement écarté les plaques tectoniques géopolitiques. Du moins, on commence à percevoir qui se trouve où. On a pour le moment, 3 plaques qui se séparent : celles des Occidentaux et celles des alignés contre l’Occident, la Chine, la Russie, l’Iran et la Corée du Nord principalement.

Puis il y a une troisième plaque sur laquelle se trouvent des pays, comme la Turquie et l’Inde, qui ne gèrent que leur propre intérêt. L’Inde a signé une importante commande militaire avec la Russie après avoir dit à Vladimir Poutine qu’il ne fallait pas faire la guerre. L’Inde achète du pétrole russe, alors que ses importations d’énergies russes étaient proches de zéro avant la guerre, mais l’Inde a besoin des Etats-Unis dans d’autres domaines, technologiques en particulier. La Turquie discute avec la Russie, car leurs relations commerciales sont intenses, mais elle livre des drones à l’armée ukrainienne. La priorité turque est le regroupement du Kurdistan, éclaté entre la Turquie, la Syrie et l’Irak. L’Irak est le nouvel espace de déploiement de la puissance turque. La Turquie considère toujours le Nord de l’Irak comme un territoire perdu et l’Irak constitue un tremplin pour Ankara pour relancer ses ambitions de puissance au Moyen-Orient et rivaliser avec l’Iran.

Sur cette 3ème plaque tectonique, se trouve également l’Arabie saoudite, qui a surpris en poussant à une réduction de la production de pétrole de 2 millions de barils/jour au sein de l’OPEP+, très au-delà de ce qui était attendu. Les Etats-Unis ont essayé de persuader l’Arabie saoudite, mais leur réponse a été une réduction bien supérieure à celle des 1 million de barils/jour attendue. Ce mouvement confirme maintenant la position géopolitique saoudienne : elle se détache des Etats-Unis. La première justification de cette réduction a été l’anticipation d’une récession et une forte réduction de la demande. En fait, la réduction est purement (géo)politique. L’Arabie saoudite est revenue sur le projet des Occidentaux de plafonner le prix du pétrole russe et celui des Européens de plafonner le prix du gaz importé. La grande crainte des Saoudiens est qu’un cartel des acheteurs se mette en place et fonctionne ; dans ce cas, les prix énergétiques mondiaux baisseraient. L’évocation d’un cartel des acheteurs a été une alarme pour l’OPEP+ de voir les pays occidentaux riches prendre le contrôle du marché pétrolier. Le message est clair : l’OPEP+ ne laissera jamais se créer un cartel des acheteurs pour faire baisser les prix.

L’Europe n’est pas en position de force

Elle ne représente que 14% de la demande mondiale de pétrole.

La Russie a géopolitisé son gaz vers l’Europe. L’Arabie saoudite semble vouloir géopolitiser son pétrole. L’Arabie saoudite dépendait du support militaire américain et elle a décidé de s’en affranchir afin de ne considérer que ses intérêts commerciaux et géopolitiques. Joe Biden avait traité l’Arabie saoudite d’Etat « paria » suite à l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi et les Etats-Unis ne sont jamais venus en aide aux Saoudiens dans leur conflit régional contre le Yémen malgré leur demande ni renforcer leur sécurité vis-à-vis de l’Iran. La Maison blanche a déclaré que l’Arabie saoudite s’alignait avec la Russie.

L’Arabie saoudite a besoin d’un prix du pétrole élevé et stable pour financer son pharaonique projet Neom de $500 milliards. Une mégapole futuriste sur la mer Rouge de 170 kilomètres de long, appelée The Line, qui devrait voir le jour en 2030 et qui accueillera les Jeux asiatiques d’hiver 2029 dans la station « hivernale » de Trojena. Une immense cité industrielle, Oxagon, et un port sont aussi prévus.

Cette collision entre les Occidentaux et l’Arabie saoudite était prévisible en raison des intérêts divergents liés à l’urgence climatique. La guerre en Ukraine l’a rendue réelle. On est entré dans un monde nouveau pour le contrôle du pétrole, du gaz et bientôt des métaux industriels, utilisés pour la transition énergétique, le réarmement planétaire et la réindustrialisation des pays occidentaux. Cela plaide pour un Supercycle des matières premières. Dans un monde multipolaire et instable où les intérêts de chacun vont dominer, la sécurité énergétique, alimentaire et en métaux critiques va être une priorité absolue. Les pays-producteurs auront tendance à faire de la rétention et conscients de leur importance pourront « jouer » avec leur position dominante en exigeant des prix plus élevés, avec des sous-capacités de production volontaires.

A moyen terme, les tensions sur les prix, les pénuries et la gestion des seuls intérêts nationaux pourraient provoquer des fissures au sein de l’alliance occidentale. Les peuples fatigués se tournent vers les droites conservatrices et nationalistes qui se renforcent aux Etats-Unis et en Europe (Italie, Suède, France, Espagne).

  • Les plaques tectoniques géopolitiques bougent fortement
  • Les prix énergétiques, des métaux industriels et agricoles sont dans un Supercycle, avec une faiblesse temporaire conjoncturelle
  • Cumulé à la transition énergétique et au réarmement, le projet saoudien Neom pourrait provoquer des disruptions sur les métaux industriels
  • L’Europe ne semble pas la mieux armée pour faire face à de tels bouleversements. Mais va-t-elle grandir avec ces défis majeurs ?
  • La réindustrialisation, la transition énergétique, les coûts du dérèglement climatique et le réarmement vont coûter chers. Qui va payer dans les pays occidentaux ?